T One One, résurrection d’un bateau de légende

16 mars 1990. Titouan Lamazou franchit la ligne d’arrivée de la toute première édition du Vendée Globe en 109 jours, 8 heures, 48 minutes et 50 secondes, à bord de son Imoca de 60 pieds Écureuil d’Aquitaine II. À cet instant, le skipper et son voilier entrent dans la légende du sport. Au fil des ans, le bateau participe à deux autres Vendée Globe avec Bertrand De Broc puis Hervé Laurent, ainsi qu’à de nombreuses autres courses au large. Après avoir connu plusieurs propriétaires différents, le bateau est finalement abandonné au mitan des années 2000. Un homme, un peu fou, a décidé de le retrouver. Sa quête ? Sauvegarder un pan de notre histoire maritime. Découvrir l’article complet dans Les Sables d’Olonne Magazine Hors-série Vendée Globe.

Épiphanie

Il y a quelques années, Alexandre Treillard, un notaire Sablais, se remémorait une navigation effectuée depuis Lorient avec Arnaud Boissières. Il faisait nuit, et l’Imoca La Mie Câline filait sous le vent. Un souvenir comme une épiphanie. « Je me suis dit que c’était quand même magique, ces grands voiliers… Alors je me suis demandé ce qu’étaient devenus ces bateaux qui m’ont fait rêver quand j’avais 19 ans, à l’époque du tout premier Vendée Globe. Et je me suis aperçu qu’il n’en restait que deux de la première édition : Écureuil d’Aquitaine II, le bateau vainqueur, et Cacharel, celui d’Éric Tabarly. Je me suis dit : Écureuil d’Aquitaine II existe encore, il faut le sauver. C’est là que j’ai commencé mes recherches, en contactant tous les anciens propriétaires. »

De fil en aiguille, Alexandre retrouve la trace du fameux voilier en 2019 dans un port du Venezuela. Le bateau est au sec, mais sur place, on lui affirme qu’il est en bon état, qu’il peut naviguer, et, surtout, qu’il est à vendre. Il s’envole pour l’Amérique du Sud en septembre avec Thierry Torres, un marin « qui a traversé 70 fois l’Atlantique » avec l’intention de ramener le bateau par la mer, à la voile. « Quand on a vu le bateau, on s’est dit que ce n’était pas ce qui nous avait été promis. Il baignait dans la rouille. Le pont était délaminé, les voiles partaient en lambeaux, et le mât était prêt à tomber. » L’idée est alors de mettre l’Imoca à l’eau, de le remorquer jusqu’en Martinique, puis de le charger sur un cargo pour le rapatrier en France.

Aventure

2020, 2021, le temps passe, les tentatives pour ramener le navire s’accumulent et les galères s’enchaînent, entre dégâts, pépins administratifs, corruption, magouilles, chantage, menaces… et le Covid, qui met la planète sur pause. Mais il en faut plus pour décourager Alexandre. En 2022, il monte une petite équipe de marins autour de lui, embarque un jeune vidéaste qui documentera l’aventure, et c’est reparti pour le Venezuela. Sur place, le voilier est à l’eau, les papiers sont prêts, et les hommes préparent le bateau pour, enfin, « larguer les amarres pour de bon ». Cap sur les Caraïbes.

« On est vraiment partis la fleur au fusil, sur une embarcation rafistolée de bric et de broc… » Qu’importe, les hommes et le voilier quittent le port. Mais après quelques heures de navigation, un winch se détache violemment de son support. Dans une mer formée, « le bateau tape, tape, tape… ». Puis vient un grain. Le voilier se couche, une voile s’arrache. La peur du démâtage est prégnante. Pas question de retourner au Venezuela, d’où il a été si compliqué de partir. Alors, décision est prise de monter une petite voile, « un mouchoir de poche » et de poursuivre à vitesse réduite. Ce qui n’empêche pas la barre de liaison entre les deux safrans de rompre à son tour. À bord, on bricole. Le cap est maintenu, et la Guadeloupe se matérialise bientôt à l’horizon. Hasard du calendrier, sur place, c’est aussi l’arrivée de la Route du Rhum, et Alexandre recroise la route d’Arnaud Boissières. « Il me confirme qu’il faut charger le bateau sur un cargo, car le mettre en chantier à 10 000 km de la maison, c’est l’assurance qu’il ne soit jamais terminé ! ».

En février 2023, Alexandre reçoit l’information qu’un cargo doit partir de Martinique en direction de La Rochelle. Il faut donc naviguer vers le sud, depuis la Guadeloupe, en contournant la Dominique par l’Ouest, une route moins risquée étant donnée la faiblesse structurelle du bateau. Dans la pétole, la navigation dure deux jours de plus que prévu. Arrivé en Martinique, nouvelle péripétie : les mouvements sociaux contre la réforme des retraites bloquent le port de La Rochelle. Le cargo doit être dérouté vers Brest. Qu’importe. Une ultime navigation périlleuse permettra à l’Imoca de revoir la baie des Sables le 18 avril, avant une présentation au public le 1er mai. À la barre, c’est son premier skipper, Titouan Lamazou, qui remonte le chenal.

Challenge

Dans les mois qui suivent, alors que le bateau est au port, Alexandre consacre l’intégralité de son temps libre à tout démonter avant sa mise en chantier, le 12 septembre. Le navire est confié à Eole Performance, l’entreprise fondée par Benjamin et Marcel Dutreux à Port-Bourgenay, à même de « restaurer ce monument du patrimoine maritime dans les règles de l’art » tout en conservant un maximum de pièces d’origine, garantes de l’âme du bateau. Le bateau doit être prêt pour escorter la flamme olympique, qui fait étape aux Sables d’Olonne le 4 juin 2024. Un délai extrêmement serré, mais qui ne fait pas peur à Marcel Dutreux, en charge du chantier : « nous sommes des spécialistes de la rénovation, on a les compétences de la course au large, et on adore les défis un peu fous. C’était donc naturel qu’on s’engage à fond dans ce projet. Et puis quel beau challenge que de rénover le bateau qui a gagné le premier Vendée Globe ! ».

Du côté d’Eole Performance, on s’active donc, en suivant un principe simple : « rendre ce voilier de 30 ans facile à naviguer, et faire en sorte qu’il dure 30 ans de plus ». Mais l’expertise de l’ensemble de la structure est implacable : « le pont était complètement HS. Dès qu’on marchait dessus, il s’enfonçait de partout. Sans sauver le pont, on ne pourrait pas sauver le bateau ». Exit donc la première peau, en balsa. Dessous, les mousses sont refaites et des renforts pour le futur accastillage sont posés. Puis une « nouvelle peau en carbone est installée ». Une concession à la modernité qui consolide et allège la structure. La remise en état se poursuit, et le chantier avance. Alexandre Treillard vient aussi travailler sur le bateau, et y passe tous ses week-ends. Un gain de temps précieux.

Miracle

Car ce « refit » est une course contre la montre, tant les dégâts sont nombreux. « C’est un miracle que le bateau soit arrivé jusque-là entier. Le pied de mât était littéralement pourri, un coup de marteau a suffi à le faire tomber… Le mât aurait pu transpercer le bateau. » Dans la coque, même scénario : « là aussi, tout était pourri. Un énorme défi, il a fallu tout refaire à base de composite pur. » Partout, l’équipe ponce, peint, fixe, applique de la résine. Le gréement est changé, la quille refaite entièrement à neuf. Pour autant, l’aspect général du voilier n’est pas dénaturé.

Le 30 mai, le pari est réussi. L’étrave de l’Imoca sort lentement du chantier d’Eole Performance, et laisse apparaître son flocage définitif, aux couleurs du Département de la Vendée, de la Ville des Sables d’Olonne et du Vendée Globe. Il s’appelle T One One. Le « T » est un hommage à Titouan Lamazou, mais aussi à Eric Tabarly, qui avait donné le départ du premier Vendée Globe. « One One », en référence à sa première position lors de cette première édition, et à son numéro d’alors, le 11. La mise à l’eau se déroule sans encombre, la renaissance est accomplie.

Un bateau pour tous

Par l’action et la persévérance d’Alexandre Treillard, mais aussi grâce au Département de la Vendée, au Vendée Globe et la Ville des Sables d’Olonne dont il est une magnifique vitrine, T One One est désormais à la disposition de tous. Navire d’exhibition, il est aujourd’hui un vecteur de promotion de la culture maritime, de découverte de la voile et de la course au large à destination de tous les publics, à même aussi de participer à des projets éducatifs avec les plus jeunes. Et, via l’office de tourisme des Sables d’Olonne, s’offrir une sortie en mer sur un Imoca de légende est désormais accessible à tous.

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